Anjou sport nature : à l’école de l’eau douce

Une pratique collective au cours de laquelle chacun est un maillon essentiel.

Naviguer et bien se comporter sur l’eau et en bateau, ça ne va pas de soi ! On peut apprendre en famille, sur le tas en louant un bateau, ou très succinctement en passant le permis… On peut aussi s’initier aux finesses de l’accostage ou du nœud de taquet en jouant aux pirates lors d’un camp-école sur la Mayenne ! Des petits chanceux qui auront en outre acquis la conscience d’être membre d’un équipage, où chaque rôle est important et où rien ne se fait sans les autres.

Comment les enfants peuvent-ils se familiariser avec le monde fluvial et apprendre à naviguer en s’amusant. Il existe à La Jaille-Yvon, sur la Mayenne, une association qui propose des sorties et des camps à bord de bateaux d’équipage, c’est-à-dire des unités prévues pour une pratique collective et qui permettent à chacun de prendre une part active à la navigation. Qu’elles durent une semaine ou une journée, ces sorties sont des expériences incomparables pour les enfants, qui se succèdent à tous les postes de manœuvre. Ces derniers se trouvent responsabilisés et prennent conscience d’eux-mêmes et des autres. Ceux qui manquent d’assurance ou ne sont pas très bon en classe peuvent ainsi découvrir qu’ils excellent au pilotage, ou du moins qu’ils sont un maillon essentiel à la bonne marche du bateau. Quelle leçon valorisante !

Chacun devient à son tour pilote, “gaffeur” ou “amarreur”…

L’apprentissage par le jeu !

Les grands aident les petits !

La journée commence par une galopade. Trois bandes de pirates s’élancent à la recherche des cartes qui les guideront jusqu’au trésor. Lorsqu’elles reviennent munies du précieux indice, elles descendent sur le ponton, embarquent à bord des bateaux et enfilent les gilets de sauvetage. On a beau être pirate, on n’en a pas moins le sens de la sécurité ! Trois équipages, celui des ‘’pirates à chapeau’’, celui des ‘’balafrés’’ et celui des ‘’borgnes’’ se préparent à l’appareillage pour s’en aller poursuivre leur quête. Joyeux mais efficace, les grands aidant les petits, chacun gagne le poste qui lui est attribué. Un document, le ‘’rôle d’équipage’’, décrit avec précision le travail de chacun des 8 équipiers ainsi que l’ordre dans lequel se fait le roulement.

Apprendre en partageant… Quelle leçon !

L’immense majorité de ce que je sais sur le nautisme et les rivières, je l’ai acquis entre 11 et 17 ans, alors que j’étais membre d’une troupe de scouts marins sur la Sarthe. Bien plus encore, si j’ai aujourd’hui le goût de partager mes expériences dans les pages de Fluvial, c’est pour avoir appris à l’époque à partager avec les plus jeunes ce que je découvrais, qu’il s’agisse de voile, d’aviron, de godille, des manœuvres d’écluse, des nœuds, ou de l’entretien et de la peinture des bateaux… Ce type d’apprentissage, où chacun apprend à son rythme et partage sans attendre son jeune savoir, on le retrouve dans le compagnonnage ou les arts martiaux. Les Compagnons du devoir disposent dans chaque salle de cours d’un meuble à tiroirs nommé “la progression”. L’apprenti commence par les exercices placés en bas qu’il pratique sous la conduite des anciens. Lorsqu’il passe à l’exercice suivant, il devient légitime pour partager ce qu’il a acquis et conseiller ceux qui sont moins avancés dans la progression. C’est une excellente manière de reformuler ce qu’il sait et donc de réviser ses connaissances. D’autre part, chacun est libre de progresser à son rythme, mais sans individualisme. De même, dans les arts martiaux, les ceintures de grade ne marquent pas une “force”, mais elles valident une capacité à partager ce que l’on a soi-même appris. Ce mode d’apprentissage est assez loin de l’enseignement scolaire, et c’est sans doute pour cela que les enfants y adhèrent volontiers. Responsabilisés, ils font preuve de vigilance, d’attention aux autres, et on observe une belle entraide sans jamais de moquerie. Un exemple à suivre !

Tous deviennent à leur tour pilote, éclusier, indicateur, ‘’amarreur’’, ‘’gaffeur’’ ou navigateur. Un rôle pour chacun avec des missions parfaitement claires et des limites bien définies. En mesurant l’impact de son action sur la bonne marche du bateau, chaque enfant prend conscience de sa place dans le groupe. Tous assument leur rôle avec beaucoup de sérieux, et il est impressionnant de voir les manœuvres se dérouler sans un cri et dans un ordre impeccable, chacun sachant parfaitement ce qu’il a à faire. Un exemple de cohésion qui pourrait faire rougir bien des équipages adultes !

Du jeu à la manœuvre

Après le sérieux des manœuvres, les moments ludiques ne sont pas oubliés, comme la “toupie”.

Les pirates du jour sont 24 enfants de 6 à 11 ans, venus pour un camp de vacances de 5 jours. Ils auraient dù camper à bord des bateaux, mais la crise sanitaire en a décidé autrement, et les tentes sur la rive permettent une meilleure distanciation sociale. Chaque équipage est encadré par un animateur ou une animatrice, qui intervient le moins possible, privilégiant l’interaction entre les enfants, à terre comme sur les bateaux. La flottille est supervisée par un amiral, sorte de pirate en chef, en l’occurrence Sophie Leblanc, qui évolue à bord d’un bateau de sécurité, jouant le rôle de maître du jeu et laissant la plus grande latitude possible aux équipages pour faire leurs propres expériences.

Les enfants réclament aussi beaucoup la ‘’toupie’’, une volte rapide effectuée avec les ͵ bateaux à couple, l’un en marche avant et l’autre en arrière. Le dosage entre jeu et sérieux est subtil et parfaitement maîtrisé par l’équipe d’encadrants, tous connaissant visiblement bien leur métier, du point de vue nautique, comme pédagogique. Si l’apprentissage des manœuvres et de la navigation est pris avec tout le sérieux nécessaire, les moments ludiques ne sont pas oubliés lors du repas pris à l’ancre au milieu de la rivière. Le jeu maintient les enfants en éveil, tandis qu’ils appréhendent la navigation avec une belle concentration.

La flottille est supervisée par la pirate en chef, Sophie Leblanc.

La sensibilisation au milieu aquatique n’est pas oubliée. Il faut dire que Sophie, qui par ailleurs encadre des animations sur le ‘’Cycle de l’eau’’, ne manque pas une occasion de partager ses connaissances en la matière. Avec leur grande table centrale, les bateaux se prêtent merveilleusement bien à ces leçons impromptues !

Des bateaux d’équipage !

• Longueur : 7,10 m
• Largeur : 2,80 m
• Tirant d’eau : 0,15 m
• Déplacement : 1,6 t

• Motorisation : 10 CV hors-bord
• Capacité : 10 personnes (8 couchages)
• Matériau : aluminium
• Chantier : Delavergne à Avrillé (Vendée)

C’est beau d’être efficace !

Les ͵ bateaux qui composent la flottille ont été construits il y a une vingtaine d’années par le chantier Delavergne en Vendée. Entièrement en aluminium, ils sont simples et solides. Par conception, ils privilégient les espaces communs, avec un cockpit central organisé autour d’une grande table aux panneaux abattants, qui laisse, une fois pliée, un solide arceau auquel se tenir. De part et d’autre, des capots ouvrent sur les postes d’équipage : des bannettes équipées de matelas permettent d’accueillir jusqu’à 8 personnes, dans un confort ‘’rustique’’. Les espaces extérieurs avant et arrière sont très dégagés et protégés par des balcons visiblement costauds. À l’arrière, des coffres accueillent le matériel de navigation et encadrent le poste de pilotage, aussi dépouillé que possible. Un taud de toile protège la quasi-totalité du bateau de la pluie et du soleil. La propulsion est confiée à un moteur hors-bord 4 temps de 10 CV en puits. C’est efficace et relativement silencieux, mais le rêve secret de Sophie serait de convertir ses bateaux à la propulsion électrique.

La grande table se prête à tous les usages !
Des bateaux tout simples au cockpit fonctionnel.

Une idée qui pour l’heure reste trop couteuse pour une structure associative comme Anjou sport nature. Il n’empêche, avec leur fond plat et leur silhouette anguleuse, ces bateaux se remarquent. S’ils pourraient difficilement figurer dans un concours d’élégance, ils sont parfaitement adaptés à la mission pour laquelle ils ont été dessinés : offrir à 8 personnes de dormir et naviguer à bord en toute sécurité, et en permettant à tous de participer à la manœuvre. Pratiquée de longue date par les scouts marins, les écoles de voile des Glénans ou Jeunesse et marine, la navigation en équipage permet un apprentissage d’autant plus efficace que ses enseignements vont bien au-delà de la simple découverte du bateau et du milieu nautique. Il s’agit d’une véritable école de vie, où les enfants développent leur autonomie, mais aussi et surtout leur aptitude à être ensemble.

Sur le plan individuel, ils s’habituent à prendre soin d’eux, à gérer leur propre confort sans attendre la prise en charge d’un adulte. Collectivement, ils apprennent les vertus du groupe et à y trouver leur place, sans pour cela avoir à jouer des coudes. Au cours de cette journée, j’ai pu admirer de beaux comportements d’entraide, comme celui-ci qui en aidait un autre à nouer son gilet de sauvetage, ou cet autre qui tenait le bateau en place à la gaffe, tout en réexpliquant patiemment à une petite fille les subtilités du nœud de taquet. Un savoir-vivre et un sens de l’autre que nous aurons plaisir à voir se manifester sur les voies d’eau. Vivement que ces pirates-là grandissent !

Chacun participe et s’entraide, jusqu’à maîtriser les subtilités du nœud de taquet !
Sophie Leblanc, baptisée à l’eau douce !

Capt’ain Sophie

Rien ne prédisposait Sophie Leblanc à devenir un affreux pirate balafré, jusqu’à ce qu’à 8 ans elle tombe dans la marmite de potion magique. Son père a dû la repêcher alors qu’elle avait chuté dans le canal du Nivernais en puisant de l’eau avec son seau. Difficile après un tel baptême de se détourner de l’eau douce, un milieu qu’elle a appris à mieux connaître alors qu’elle préparait son Brevet d’État d’animateur technicien de l’éducation populaire et de la jeunesse “environnement et fluvial”. Très vite, elle a voulu partager ce goût avec les enfants. D’ailleurs, et pour l’anecdote, c’est enceinte de 6 mois que Sophie s’est présentée aux épreuves de conduite du permis rivière ! En navigation, elle garde une certaine distance, et c’est depuis le bateau de “sécu” qu’elle encadre les sorties, laissant les animateurs et accompagnants gérer les équipages des 3 bateaux. Lorsqu’elle n’est pas sur l’eau, Sophie assure les fonctions de directrice adjointe d’Anjou sport nature.

Anjou sport nature

Structure associative fondée en 1985, Anjou sport nature a pris sa pleine dimension en 1997. Les 3 bases sont riveraines de la Mayenne et de l’Oudon, à Daon, Segré et surtout à La Jaille-Yvon, où sont proposées de nombreuses activités sur et au bord de l’eau. On peut louer toute sorte d’embarcations ou de vélos, mais aussi conjuguer les deux (aller en canoë et retour à vélo). Il est possible de pratiquer l’accrobranche, le tir à l’arc ou le paintball. Enfin des chasses au trésor ou des parcours d’aventure sont organisés. Certaines activités s’adressent plus particulièrement aux groupes (comités d’entreprise, collectivités ou clubs sportifs) ou encore à des sorties scolaires. Néanmoins, la structure est ouverte à tous et accessible en bateau depuis le ponton sur la Mayenne. Sur place, on trouve un camping et même de la petite restauration à emporter. L’association abrite également un centre de formation reconnu qui prépare au Brevet professionnel de la jeunesse, de l’éducation populaire et du sport, un diplôme qui permet d’exercer le métier d’éducateur sportif polyvalent.

Texte et photos Olivier Chauvin